Débat intitulé : « Histoire et récit national. L’usage de l’expression « Nos ancêtres les Gaulois» est-il dangereux? – L’Humanité – 28-09-2016
Laurence de Cock Professeure en lycée à Paris et à l’université Paris-Diderot, fondatrice du collectif Aggiornamento histoire-géo.
Voir l’article en ligne sur http://www.humanite.fr/lusage-de-lexpression-nos-ancetres-les-gaulois-est-il-dangereux-616476
Une entreprise de spéculation électorale sur les thématiques identitaires
« Autrefois, notre pays s’appelait la Gaule et ses habitants s’appelaient les Gaulois. » La phrase a le goût sucré d’une madeleine. Elle éveille l’imaginaire de l’encre violette et des manuels scolaires du Petit Lavisse que l’on se figure dévorés par tous les enfants de la IIIe République assoiffés de connaissance et confits dans l’amour d’une France républicaine, maternelle et chaleureuse. L’image ainsi mobilisée des Gaulois est doublement efficace, et les chargés de communication de Nicolas Sarkozy l’ont bien saisie : on y lit l’âge d’or d’un roman national porteur d’une mythologie fédératrice des différences culturelles entre petits Français, et l’idée plus sourde et délétère de la quête de racines et de souches communes des Français qui remonteraient au temps béni des gauloiseries. C’est dans cet aigre-doux délicieusement pervers que peuvent se réfugier les soutiens du candidat présidentiel qui, feignant la naïveté, s’étonnent que le rappel du mythe gaulois des origines puisse défriser une bonne partie de la société. « Mais quoi ? nous rétorquent-ils, les yeux encore humides de larmes d’amour patriotique, n’y a-t-il pas chez ce peuple jovial, courageux, guerrier et viril l’opportunité évidente de se retrouver une identité commune ? »
Nous en sommes là en ce début de campagne, déjà bien embarqués dans le musée des horreurs dont on aimerait pouvoir rire s’il ne s’agissait pas d’une entreprise dangereuse de spéculation électorale sur les thématiques identitaires et racistes. Car plus personne aujourd’hui ne peut sérieusement réveiller le mythe assimilationniste gaulois sans s’asseoir ostensiblement sur des décennies de recherche historique, lesquelles insistent sur le morcellement des peuples gaulois mais montrent surtout l’usage politique de ce passé de la Gaule dans la construction du mythe national.
Tout cela révèle le mépris de l’intelligence au profit de la plus vile politique racoleuse dont devraient rougir tous ceux qui planchent sur ces discours électoraux de plus en plus creux. Ce n’est pas seulement la résurgence d’une tirade qui était jusque-là l’apanage du Front national qui choque dans cette triste aventure, c’est surtout la propension à considérer le passé comme un hypermarché géant, pourvoyeur de produits à bas prix pour candidats sans scrupule. De ce point de vue, le candidat Sarkozy n’en est pas à son coup d’essai. Dès la première campagne de 2007, son porte-plume Henri Guaino avait inauguré la foire aux références historiques sans toutefois sombrer dans des manipulations aussi grossières que cette saillie récente. Cette année, François Fillon s’est également engouffré dans la brèche en réclamant le retour à l’école d’un récit patriotique.
Mais aujourd’hui le marché de l’histoire n’est pas que bleu-blanc-rouge, il semble se noircir sur les bords. Affirmer dans le contexte d’exacerbation du racisme actuel que chaque être arrivant en France doit abandonner l’ensemble de son bagage culturel pour se conformer à celui du pays d’accueil est une rhétorique dangereuse. Elle ne peut être justifiée par le prétexte d’une construction bienveillante d’un roman fédérateur. C’est faire injure à la pluralité culturelle constitutive de la France, à son histoire et ses historiens, et à la plus élémentaire morale politique.
Quant aux nostalgiques du roman national à l’école, à celles et ceux qui se lamentent sur la perte de repères et de grandes figures identificatoires françaises, rappelons-leur que l’école n’est pas le lieu de la mystification mais de l’apprentissage d’une citoyenneté critique, dans la curiosité et le respect de l’altérité. Il semble que certains gardiens zélés des valeurs de la République gagneraient à troquer leur cervoise contre un bon cours d’histoire.