Une contribution aux réflexions issues de la situation après le 7 janvier 2015 (Humanité du 13 janvier 2015)
Une marée humaine exceptionnelle a dit non à l’inhumain. Mais les monstres ne naissent pas de rien. Haïr le monstre, c’est combattre ce qui l’enfante. La violence qui tue ? Depuis la fin de la guerre froide, on veut nous faire intérioriser que nous sommes, non plus dans un conflit de classes, mais dans une guerre des civilisations. Or, avec la guerre contre le terrorisme, la métaphore originelle se mue en guerre tout court, partout et toujours, où le heurt des États laisse la place à la guerre civile, religieuse ou ethnique. La peur devient un mode de vie, l’État d’exception la norme et le repli, une tentation. C’est l’engrenage sans fin de la violence et de la contre-violence.
Guerre des civilisations, d’un côté ; inflation de l’identité, de l’autre. Dans un monde où la polarité est la règle et le partage une incongruité, l’individu n’aurait plus d’avenir que s’il se referme sur une identité protectrice, une communauté où il est « chez soi », où les autres ne viennent pas empiéter sur son espace. Dans une société où la concurrence se redouble de la méfiance, pas d’autre choix pour les communautés que de se clôturer et de s’affronter. Finies les solidarités sociales d’hier : désormais, le peuple (immigré et coloré) de la « banlieue » s’oppose au peuple (autochtone et blanc) de la « périphérie », nous suggère le géographe Guilluy. En cela, l’enfermement communautariste est une plaie. Mais si l’enfermement est une impasse, la non-reconnaissance des spécificités est un enlisement. Quand l’inégalité constitutive des sociétés de classe fonctionne à la discrimination massive des minorités, un universalisme mal compris apparaît trop souvent comme un déni de dignité. Une France républicaine n’est pas une France de l’uniformité mais de l’égalité, une égalité non pas de semblables mais de différents. On ne peut pas, comme autrefois, demander aux individus d’oublier ce qu’ils sont quand ils entrent dans l’espace public. Une spécificité non acceptée, donc discriminée, débouche sur une différence qui isole, qui oppose et qui ferme ainsi la voie au commun.
La guerre des communautés se nourrit de la rétraction de l’espace public. Quand la norme privative et marchande domine tout, quand la dépense publique devient donc un coût qu’il faut réduire, la concurrence fait rage entre ceux qui doivent bénéficier de ses ressources. Si l’État providence n’a plus les moyens, pas d’autre solution que de retirer aux uns pour donner aux autres. Moins aux nouveaux venus, plus aux autochtones… Le public qui se rétracte, la solidarité (la fraternité) qui s’épuise ? La cohérence sélective et discriminatoire est alors du côté du Front national.
Face à la violence produite par notre monde, la solution n’est pas dans la défense de l’identité, mais dans la conquête de l’égalité, couplée à la liberté et soutenue par la solidarité. « On n’est plus chez nous », entend-on souvent. Je ne dis pas que cette phrase conduit fatalement au Front national. Mais elle lui ouvre la voie. Si nous ne voulons pas de lui, opposons une autre phase : construisons ensemble le « chez tous » de l’égalité et de la dignité. Le socle de la tolérance n’est ni l’uniformité qui éradique ni la différence qui éparpille ; le commun est notre horizon.
Bien d’accord, Soizic !
Surfer sur l’écume émotionnelle des évènements ne me semble pas à la hauteur de ce qui vient de se passer sur le sol national, et encore moins à la hauteur de ce qui continue de se passer par ce que qui est décidé « en notre nom » un peu partout sur la planète. Cette citation d’un texte qui circule depuis 2006 commémorant les nuits bleus du 93, et le couvre feu dans les quartiers de l’ hexagone »Les penseurs de la précarité généralisée célèbrent ainsi leurs nouveaux parangons, délocalisation et mobilité. Tout-puissants, les As de la rapine rêvent tout haut du développement durable de leurs fortunes, numérotées en fonction des forces et des violences accumulées. Les vies usées jusqu’à la corde, les enfants par millions affamés, anémiés, constituent les bonnes ressources à exploiter. »me semble d’actualité parce que sortant d’une conception culturello-culturelle des passages à l’acte » terroristes ». Pour qui à pu voir le film Timbuktu la main mise « culturelle » échouerait sans le commerce des armes par « nous » vendues. Ce texte de 2006 renoue , me semble -t-il avec l’alerte de Jean Jaurès… » les consciences sont faussées par l’habitude de l’oppression ». Notre république néo libérale s’est fait de l’oppression une longue habitude.
Tout se ramènerait donc à une guerre des communautés, face à nous, l’Universalité? (-mes chevilles enflent-). Mais cette marée humaine impressionnante de Grozny à Niamey, d’Alger à Jakarta, dans quelle communauté suffisamment grande se reconnait-elle? …La religion? Alors c’est une guerre de religion? Hypothèse vite écartée: c’est une guerre d’intérêt. Rafales contre Sukhoi et Migs. Pétrole contre métaux. Nations contre nations. Nations contre peuples.
Le troisième paragraphe de l’article est riche: « Quand l’inégalité constitutive des sociétés ……. qui oppose et qui ferme ainsi la voie au commun ». Dommage qu’on n’y mette pas suffisamment en valeur que la richesse des identités est seule garante de l’universalisme. Lisons, relisons Pier Paolo Pasolini, Félix Castan. La culture de masse tue la culture populaire et paralyse tout changement de société. La reconnaissance des spécificités permettra de construire un espace commun politique. Leur dénigrement conduit au communautarisme, réaction regrettable, mais quelque part saine.
Cet article sous estime les spécificités culturelles. Il oublie donc d’analyser le problème de la réelle Liberté d’expression, qui n’est pas seulement, pas essentiellement, de dire tout ce qu’on a envie de dire qui nous chante dans la tête. Et qui paraît d’autant plus libre lorsqu’on semble faire tomber tout ce qui ressemble à des murs des règles de conduites, tabous religieux, limites morales. Plaisir éminemment bourgeois, individualiste, plaisir diviseur, car partagé ou rejeté. Loin d’être des interdits, ils tiennent la cohérence de notre société, ce qui nous humanise.. .
Mais la Liberté d’expression est de construire et d’assumer un discours qui fasse sens, qui ouvre des brèches dans ce système dominé par le complexe militaro-médiatique, à la fois étatique et maffieux. Un discours qui réunisse, rassemble, donne de la force oà tous.
Bon texte qui pose, me semble-t-il, avec justesse et mesure les véritables enjeux politiques et sociaux d’aujourd’hui et de demain. Le vivre ensemble dans la diversité pourrait être en effet notre commun horizon d’attente.
Le vivre ensemble existe depuis belle lurette…à l’intérieur d’une même classe sociale. Les 48 nationalités des mineurs de Graissessac, leur solidarité en atteste. De même que dans un même hôpital, les toubibs se côtoient, quelques soient leurs opinions politiques et leurs origines. De même les joueurs de l’équipe de France de foot. Les différences de religion, de langues, de nationalités ne constituent certes pas un obstacle. D’ailleurs notre pays s’en est nourri de tous ces apports, au cours de l’histoire.
Voilà pourquoi je pense que ce texte est à coté de la plaque. Les communautarismes sont exacerbées par les inégalités sociales. Quand un individu, un groupe d’individus a tout perdu, socialement, il recherche des valeurs ailleurs, dans une identité idéalisée, la radicalité de la démagogie communautariste ou religieuse, le refus des inégalités, la violence, l’acte héroïque pour se « réaliser »
D’origine bretonne, du pays Gallo, dans une famille qui comme beaucoup de cette génération péjorait la langue traditionnelle, je suis arrivée en Languedoc. Mon mari m’a fait partager son amour de l’Occitan, l’histoire de son pays… C’est un amour qui n’enferme pas, la preuve, nous avons eu trois beaux « métis », qui parlent quelques mots de « provençal » (elle y tenait même si je ne vois pas bien la différence…) que leur grand-mère nîmoise partageait avec eux… Pourtant, ayant un DEA d’histoire et un doctorat en anthropologie; j’ai toujours trouvé regrettable que l’apport des pays islamiques dans notre civilisation n’aient jamais été partagés et montrés comme tels à l’école. Des siècles de vie ensemble, d’échanges culturels et commerciaux ont pourtant laissé de nombreuses traces. J’ai toujours trouvé regrettable que ce soit chez l’Imam que les jeunes, en recherche culturelle sur leurs origine, vont chercher des cours d’arabe, car l’état français est dans un retard incroyable sur cette langue, pourtant commerciale pour ceux qui ne pensent qu’intérêt comptable. Mon mari a pu apprendre l’occitan au lycée. moi j’ai pu le choisir à la faculté. Un enseignement laïque et républicain c’est la base pour éviter les haines et le repli. Une histoire des religions, comme on enseigne les religions grecques ou pharaoniques, pourquoi pas. Mais pouvoir apprendre sa langue maternelle, c’est essentiel pour chaque être humain, que ce soit une langue dite régionale ou non. Pouvoir l’apprendre parce qu’on y trouve un intérêt, y compris si ce n’est pas notre langue maternelle (comme pour moi avec la langue des ancêtres de mon mari), c’est ce qui peut rapprocher les peuples. Car l’être humain a besoin de racines pour se construire, et si on les lui restitue, il est plus fort pour apprendre autre chose, pour partager avec les autres. Devenait indien celui qui partageait leur mode de vie. Aujourd’hui il faut être « pure blood » car cela donne des droits discriminants, on a perdu l’éthique de la tradition de ce peuple. C’est en cela que notre combat pour la reconnaissance de l’occitan ou autre est proche de celui de ces jeunes privés d’une reconnaissance de leur humanité. Sinon que reste-t-il ? « Religere », « relier » avec ceux vers qui une société repliée sur elle-même renvoie, c’est aussi « se séparer des autres », comme ces jeunes filles au foulard quand leurs coreligionnaires se battent pour ne pas le porter dans des états fondamentalistes. Et plus on apprend de langues, plus c’est facile d’en acquérir d’autre… l’être humain est fait comme ça. C’est par le partage des connaissances qu’il a pu survivre des millénaires. L’éducation, comme le préconisent Malala et son père, est à la base. Mais une éducation où l’on se reconnaît. Il a fallu combien de décennies pour que nos amis antillais apprennent que non, les ancêtres gaulois n’étaient pas leurs ancêtres, or ils n’en sont pas moins français, car ils partagent nos idéaux laïques et républicains. Amicalement. Soizic